lundi 11 avril 2016

Voguing : performance d'une identité

      Né dans la culture underground américaine, le voguing s'exporte depuis quelques années vers la capitale française avec un désir de revendication identitaire aussi important qu'une cinquantaine d'années auparavant. Mais qu'est-ce que le voguing ? Retour vers les origines du mouvement, ses règles et son arrivée en France.

 

HISTOIRE
 
     Danse née dans une culture urbaine, le voguing prend place dans les années 1920 dans les quartiers pauvres, noirs et homosexuels de Harlem, à New-York, où s’organisent des battles consacrées aux homosexuelles et travestis qui imitent les poses des mannequins dans les magazines de mode (ce qui explique l’origine du terme voguing). Cette danse sociale se développe d’abord dans des “ballrooms” : des lieux où est mise en avant la sociabilité gay à travers des concours de travestissements, les “balls”.
      Le voguing prend de l’ampleur dans les années 1960 et 1970, avec la figure de Willi Ninja notamment, créateur de la house of Ninja, mais c’est la décennie 90 qui marque le passage de cette danse sous les projecteurs de la pop culture avec le single de Madonna, Vogue, sorti en mars 1990 et qui se vendra à 8,5 millions d’exemplaires, et c’est également l’année de la sortie du documentaire de Jennie Livingston, Paris is burning, qui remportera 11 awards entre 1990 et 1992. Ce film explore la “ball culture” des années 80 à New-York à travers une population gay, noire, travestie, prostituée et souvent droguée qui s’organise en un tissu social très organisé. Le voguing dans sa globalité ne se compose en effet pas seulement de la danse, on retrouve également des règles et des codes bien spécifiques.  


FONCTIONNEMENT 
 willi ninja            
 N'est pas vogueur qui le souhaite. En effet, chaque danseur, s’il le mérite, devient membre d’une “house” et accède à un certain rôle en fonction de l'ancienneté et des compétitions gagnées : on retrouve alors une “mother” et un “father”, qui sont à la tête de la house, et qui ont pour tâche de s’occuper de leur “kids”, Ce terme “house” trouve plusieurs origines, il rappelle tout d’abord les grandes maisons de couture (House of Chanel, House of Dior…) mais également les foyers que forment ces véritables familles de danseurs. Ces “houses” s’affrontent alors dans des compétitions, les “balls”, où les participants dansent et défilent sur le “catwalk” (piste sur laquelle défilent les danseurs), en rythme avec le “ballroom beat”, tout en incarnant une caste de la société blanche. Le voguing repose en effet sur les codes de la société associés aux questions de genre et de sexualité, les codes de la féminité étant interrogés lorsque les vogueurs s’amusent au mimétisme des poses de mannequins. Mais contrairement aux drags, l’importance ici n’est pas le travestissement, mais la posture combinée à la gestuelle, et, bien-sûr, à l’attitude. La règle d’or : être “fierce” (féroce). C'est comme si le danseur était constamment sous les projecteurs d'un photographe : ses poses doivent être impeccables. On peut également noter que le voguing n’est pas uniquement réservé aux hommes; on retrouve bien-sûr des femmes, certes en minorité, mais tout de même présentes.
On distingue 3 principaux styles de danse. Le premier à s’être développé, à partir des années 1960 est ce qu'on appelle aujourd’hui, le “old way” : il s’agit alors de former avec son corps des lignes, de la symétrie et de rechercher les angles de son corps.  Après 1990, est apparue le “new way”, une dérive du old way : le danseur va encore plus loin dans ses mouvements et le rythme est plus soutenu. Cette forme de danse intègre beaucoup de contorsions du corps. Enfin, autour de 1995 se développe le “Vogue fem”, terme qui renvoie au mot “femme”, où des mouvements influencés par le ballet, le jazz et la danse moderne s’associent afin d’exécuter des poses féminines très exagérées, davantage dramatiques. Cette forme de voguing répond à des codes encore plus strictes, en effet, il faut respecter les "5 éléments" : hand performance (tournoiement des mains), catwalk (démarche), duckwalk (la danse "du canard" qui consiste à danser avec les jambes légèrement brisées), floor performance (danse du sol) et dips & drops (le fait de tourner sur soi même et de tomber au sol). En parallèle de ces danses, la ballroom scene est composée d'un ensemble de catégories : le runway est la catégorie qui demande aux danseurs de défiler et la catégorie face a pour objectif de mettre en valeur le visage des danseurs. Le nombre de catégories varie selon la volonté des organisateurs.  


old way                                                          new way                                                   vogue fem    

          Pour ce qui est de la musique, on retrouve pour chacun des styles une même base musicale : les danseurs accordent leurs mouvements au rythme d’une house music descendante du disco et du funk qui est accompagnée par un MC, un rappeur désigné pour compléter la musique mais également pour chauffer un public aussi investi dans la performance que les danseurs. Plusieurs artistes ce sont d’ailleurs fait remarquer dans le monde du voguing avec des morceaux dont les bases resteront emblématiques du mouvement : First Choice, Masters At Work et leur the Ha Dance, Kevin Aviance…



      On le remarque très vite, la scène voguing se présente comme un lieu de revendication et de liberté d’expression totale pour une communauté à l’identité sexuelle très expressive.


REVENDICATION ET AFFIRMATION

        Dans le documentaire Paris is Burning, nous sommes face à un morceau de la population new-yorkaise très stigmatisée par le racisme et l’homophobie, le développement des “ballrooms” constitue alors un espace de liberté et d’expression. Le voguing est une culture des exclus, des marginaux qui expriment leur désir de puissance en s’appropriant la gestuelle des icônes de la mode, ce message d’affirmation de soi reste et restera la force du mouvement. Ce combat séduit, et le voguing fascine : il constitue un espace où l’invention de soi, le jeu des normes et l'expérimentation de la performance corporelle sont possibles à une époque de repli identitaire voulu par le développement des mouvements homophobes et racistes. Ces “ballrooms” aident en effet les individus membres à se construire et gagner en assurance afin d’affronter les critiques dans leur quotidien.
        Mais le voguing fait l’objet de critiques, certaines personnes se demandant si glorifier le diktat de la mode pour aider à la reconnaissance des transgenres et homosexuels ne signifierait plutôt pas enfermer l’individu dans des codes de la société de consommation.   

ET EN FRANCE ?

© Guillaume Murat

Un seul nom à retenir : Lasseindra Ninja, "mother" de la House of Ninja et une des premières à se lancer dans le Vogue fem. Pionnière du voguing à Paris, cette danseuse importe le mouvement dans les années 2000 après l’avoir découvert à New-York. Pour elle, « la ballroom scene française permet aux gens de s’épanouir car ils ont la possibilité de s’inventer, de jouer des normes, de s’amuser avec leur corps, d’être fier, d’être différent. ». La scène ballroom parisienne est créée, et beaucoup de danseurs ont intégré des grandes houses de renom comme la house of Ninja, la house of Balacianga, la House of Mugler.... Une house française a même été créée sous le nom de House of LaDurée (en référence à la célèbre boulangerie parisienne de luxe). Les membres n’hésitent pas à mettre en place des cours qui se multiplient dans Paris et sa banlieue. En effet, le public est de plus en plus large, grâce aux milliers de vidéos Youtube et aux clips des stars de la pop qui parfois reprennent dans leurs chorégraphies des mouvements du voguing comme FKA Twigs, Beth Ditto ou encore Rihanna lors sa dernière tournée. 


pour aller plus loin :
  • documentaire Paris is Burning en streaming VOSTFR : https://www.youtube.com/watch?v=hedJer7I1vI
  • documentaire Vice sur Lasseindra Ninja : http://www.vice.com/video/french-drag-queen-dance-battles
Florian Henry

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